Mise en contexte
En 2023-2024, la Fondation Émergence a accueilli Élye Plourde, une étudiante à la maîtrise en droit de l’Université de Sherbrooke, afin de mieux comprendre les réalités que vivent les personnes trans et non-binaires en matière d’emploi, ainsi que les protections juridiques qu’elles peuvent faire valoir lorsqu’elles sont victimes de discriminations à l’embauche. Ce stage de recherche Mitacs, effectué en collaboration avec le Centre de recherche Société, Droit et Religions de l’Université de Sherbrooke (SoDRUS), a notamment mené à la production d’un rapport de plus d’une cinquantaine de pages. En mai dernier, la Fondation Émergence a présenté ce rapport lors de son audition devant le Comité de sages sur l’identité de genre du gouvernement du Québec afin de faire valoir ses profondes préoccupations au regard des enjeux de discriminations que vivent les communautés trans et non-binaires lors des processus d’embauche. Le rapport est également accompagné de deux tableaux étayant l’état du droit en matière de discrimination à l’emploi (d’environ 15 pages chacun), soit un sur le cadre fédéral et un sur le cadre provincial (Québec uniquement). C’est ce rapport que nous vous résumons aujourd’hui!
Survol du rapport de recherche
Les quelques études – incluant l’étude québécoise SAVIE-LGBTQ – qui se sont intéressées aux réalités que vivent les personnes trans et non-binaires en matière d’emploi brossent un portrait plutôt alarmant de la situation. En effet, elles sont discriminées de manière disproportionnée par rapport au reste de la société et aux personnes cisgenres LGBQ+ : environ deux (2) personnes sur trois (3) mentionnent avoir vécu de la discrimination à l’emploi au cours de leur vie en raison de leur identité de genre. Pourtant, le fléau social que constitue la discrimination à l’embauche fait face à deux barrières importantes. D’une part, il existe un angle mort scientifique : peu de recherches s’intéressent spécifiquement à ce phénomène, ce qui contribue à une invisibilisation de certaines réalités contrevenant au droit à l’égalité. D’autre part, il existe un angle mort juridique : l’état du droit actuel ne s’est pas érigé en tenant compte des réalités trans et non-binaires. Par conséquent, il existe un décalage entre ces réalités et l’encadrement juridique qui en découle. Ces obstacles affectent non seulement de manière considérable les personnes trans et non-binaires dans leurs droits et dans leur capacité de subvenir de manière autonome à leurs besoins financiers – d’autant plus que les transitions de genre peuvent être très couteuses –, mais, plus globalement, constituent aussi un problème important à l’insertion de cette main-d’œuvre au marché du travail.
Dans le but de répondre à ces embûches épistémologiques, le rapport s’inscrit dans une logique interdisciplinaire. Dans un premier temps, une approche sociologique a permis de cerner certaines réalités qui constituaient une source potentielle de discriminations pour les personnes trans et non-binaires. Pour édifier de tels cas de figure, le rapport s’ancre, certes, dans la littérature scientifique sur le sujet, mais également dans les savoirs communautaires. Cette valorisation de l’expertise du milieu communautaire permet d’atténuer les effets du premier angle mort en lien avec la recherche scientifique. Dans un second temps, un regard juridique des enjeux répertoriés est effectué à partir d’un cadre évolutif du droit, conformément à la « théorie constitutionnelle de l’arbre vivant » développé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Edwards. Un tel cadre d’analyse permet d’interpréter les dispositions législatives et l’intention du législateur en tenant compte des réalités actuelles que vivent les personnes trans et non-binaires. Une telle façon de procéder permet de pallier, en partie, au second angle mort de nature juridique. Ultimement, l’objectif était de déterminer comment le droit encadre les situations discriminatoires que peuvent vivre les personnes trans et non-binaires à l’embauche.
En ce sens, le rapport de recherche explore 10 situations auxquelles sont spécifiquement confrontées les personnes trans et non-binaires lors de l’embauche, tant dans une perspective sociologique que juridique. Premièrement, la recherche s’intéresse aux enjeux liés aux changements de noms et de pronoms, tant au niveau du contrat de travail que du bulletin de paie. Deuxièmement, le rapport porte une attention particulière sur les effets qu’entraîne une demande de références d’anciens employeurs. Par exemple, il est question des informations qui peuvent – et ne peuvent pas – être légalement divulguées par un ancien employeur et qui auraient comme conséquence de dévoiler une transition de genre de la personne employée (comme le morinom, par exemple). Troisièmement, le rapport s’intéresse aux informations qui dévoileraient la transition de genre lors de vérifications des antécédents. Quatrièmement, il est question de la consultation des réseaux sociaux par l’employeur où ce dernier découvrirait que la personne candidate à l’emploi appartient aux communautés trans ou non-binaires. Cinquièmement, le rapport explore les enjeux découlant d’une situation où un employeur refuse d’embaucher une personne pour des craintes liées aux répercussions d’une telle embauche sur l’équipe de travail et la clientèle. Sixièmement, la recherche analyse les obligations légales découlant de l’épineuse question des toilettes non genrées. Septièmement, le rapport s’intéresse aux enjeux liés à la transition médicale, et notamment des congés médicaux et de l’absentéisme au travail qu’entraînent les chirurgies d’affirmation de genre. Huitièmement, il est question de la tension entre l’obligation de loyauté et de divulgation de certaines informations par rapport au droit à la vie privée et à la notion de coming-out (dévoilement). Neuvièmement, le rapport s’intéresse à la tenue vestimentaire ou à l’uniforme de travail qui, lorsqu’ils sont genrés, peuvent engendrer certaines barrières pour des personnes trans et non-binaires. Toutefois, au regard de la complexité de ce sujet, une recherche distincte sera menée sur cette réalité. Dixièmement, ce rapport s’intéresse aux cas précis des femmes trans et des personnes non-binaires souhaitant travailler dans des organismes voués aux femmes.
Ainsi, dans plusieurs des cas étudiés, une interprétation évolutive du droit offre certaines garanties juridiques concrètes pour protéger les personnes trans et non-binaires contre la discrimination à l’embauche. Néanmoins, cet encadrement demeure limité et insuffisant pour assurer une effectivité du droit à l’égalité dans certaines situations.
Le rapport à été rédigé par Élye Plourde dans le cadre d'un stage « Discriminations à l’embauche des personnes transgenre et non-binaires » subventionné par le programme "Mitacs Accélération" et co-supervisé par le Pr. David Koussens à la Faculté de droit de l'Université de Sherbrooke.
Pour consulter la version intégrale du rapport, il suffit de cliquer sur le lien ci-dessous.